Si les extraterrestres débarquaient, saurions nous les reconnaître?

Si les extraterrestres débarquaient, saurions nous les reconnaître?

« Qu’est-ce que vient foutre la NASA dans un lac au fin fond du Canada ? »

Trois gardes-frontières m’ont posé la même question, à quelques variations près, avant de me laisser passer. Ma réponse ne les a pas vraiment convaincus. Depuis quand la NASA s’intéresse-t-elle aux grands lacs ? Et quel rôle pouvais-je bien jouer là-dedans ?

En terme d’exotisme, le lac Pavilion en Colombie-Britannique n’est pas vraiment un modèle du genre. Certes, il est assez isolé : la ville la plus proche est Vancouver, que l’on ne peut atteindre qu’au prix d’un long trajet sur une route de montagne. Les villes les plus proches sont constituées par quelques groupes de maisons jetées sur le flan d’une vallée, et reliées entre elles par une unique route qui serpente pendant des dizaines de kilomètres dans un environnement désertique. Le lac lui-même se trouve le long d’une route pavée, et, de loin, il ressemble à n’importe quel autre lac de montagne en Amérique du Nord.

Tours de microbialites au Lac Pavilion. Photo: Donnie Reid/Wikimedia Commons
Tours de microbialites au Lac Pavilion. Photo: Donnie Reid/Wikimedia Commons

Pourtant, le fond du lac Pavilion est parsemé d’étranges structures qui ressemblent à des récifs coralliens: des dômes, des cônes et autres formes curieuses dont la forme rappelle celle des artichauts. Ce ne sont pourtant pas des coraux, qui sont eux constitués de colonies de petits animaux. Non, il s’agit là de formations rocheuses appelées microbialites, formées par des cyanobactéries qui les recouvrent entièrement. Parfois appelées, à tort, « algues bleu-vert, » ces bactéries ont probablement elles-mêmes participé à l’émergence des roches sur lesquelles elles vivent, absorbant les nutriments présents dans l’eau et les transformant en pierre. Comme les plantes, elles vivent grâce à la lumière du soleil, et prospèrent dans les eaux peu profondes au bas d’une pente sous-marine abrupte, à l’endroit précis où les rayons lumineux s’évanouissent pour se fondre dans l’obscurité.

La NASA a pourtant une bonne raison de se trouver dans les parages, et moi aussi. Les gens que je suis venu voir ont de grands projets en tête. Ils veulent comprendre ce que les étranges formations rocheuses du Lac Pavilion peuvent nous dire sur l’origine de la vie sur Terre, sur la vie dans l’univers, et, finalement, sur ce qu’est la vie elle-même.

Erwin Schrödinger était un type plutôt malin. Vous le connaissez sans doute par l’intermédiaire du « chat de Schrödinger, » cette célèbre expérience de pensée qui met en lumière le problème de la mesure en physique. Cependant, l’une de ses réflexions les plus intéressantes provient d’un ouvrage publié en 1944 et rassemblant les textes d’une série de conférences données à Dublin. L’une d’elle pose une question, fondamentale s’il en est : Qu’est-ce que la vie ?

L’ouvrage est resté célèbre, notamment parce qu’il prédisait des propriétés importantes de l’ADN qui seraient mises à jour quelques années plus tard. En effet, près de dix ans avant la découverte de la fameuse structure en double hélice, Schrödinger avait correctement identifié le mécanisme qui permet aux êtres vivants d’évoluer et transmettre des informations biologiques de génération en génération comme un « cristal apériodique » : une chaîne d’atomes qui ne se répète jamais exactement mais dont chaque maillon contient des atomes (carbone, azote, oxygène, hydrogène ou phosphore), qui, combinés permettent de coder une énorme quantité d’information.

Image: THOR/Flickr
Image: THOR/Flickr

Le système de Schrödinger peut être comparé au code morse, qui permet de reproduire toute une langue à l’aide de seulement deux « lettres. » Aujourd’hui, nous savons que le code ADN possède quatre lettres (A, C, G et T), qui, par leur organisation, sont capables de coder un organisme en son entier, de lui permettre de construire les protéines dont il a besoin, d’activer son métabolisme, de vivre. C’est là une distinction importante entre la vie et non-vie : la capacité à transmettre des informations au-delà de la simple reproduction.

Les cristaux ordinaires se reproduisent, mais en utilisant exclusivement les motifs répétitifs selon lesquels s’arrangent les atomes. Ils ne peuvent pas évoluer. Ou, selon les mots de Schrödinger, la différence entre les cristaux et les êtres vivants est la même que la différence entre « un papier-peint à motifs et un chef-d’œuvre de la broderie, comme la tapisserie de Raphaël, qui ne présente pas une répétition périodique de dessins, mais un concept complexe, raffiné, cohérent, signifiant, dessiné par un grand maître. »

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La barge est encombrée par des personnes chargées de la surveillance et du pilotage des véhicules submersibles télécommandés (ROVs). Ces petits sous-marins robotisés sont équipés de caméras à haute résolution, qui permettent d’observer la partie du lac que les plongeurs humains exploreront un peu plus tard dans la semaine. Ils portent également des capteurs permettant de mesurer la température de l’eau, son pH, la position GPS, la profondeur et la force du courant. Pour atteindre un niveau de flottabilité idoine, les ROVs sont composés d’un curieux mélange de haute technologie et d’équipement low-tech : des moteurs dernier cri, un système de flotteurs à base de wiffle balls et des boudins de piscine orange vif attachés avec des câbles en plastique. L’un des submersibles ira fouiner tout au fond du lac afin de prendre des photos haute résolution des microbialites, tandis que l’autre gardera un œil sur son camarade tout en surveillant l’environnement.

Pour ma part, j’assiste à ce spectacle depuis le « centre de contrôle » de la NASA situé sur la rive, grâce au flux vidéo en provenance des ROVs. M’apparait alors un paysage extraterrestre : des monticules gris-vert irréguliers de la taille d’une table, certains agglomérés par grappes, d’autres solitaires, s’étirant dans les profondeurs au-delà de la portée de la caméra. En observant ce paysage fascinant, je ne peux m’empêcher de me demander à quel point il ressemble à celui de la Terre primitive.

Si l’on en croit les microbialites fossiles, les ancêtres des cyanobactéries d’aujourd’hui constituaient probablement les premières formes de vie terrestre. L’oxygène présente dans notre atmosphère a probablement été générée par des cyanobactéries pendant des milliards d’années ; elles ont converti l’atmosphère saturée de dioxyde de carbone en atmosphère riche en nitrogène et en oxygène, qui a permis à la vie telle que nous la connaissons d’évoluer. Les cyanobactéries modernes sont plutôt enclines à former des colonies sous forme de tapis gluants qui couvrent le fond des lacs isolés, contrairement aux microbialites rocheux complexes que l’on peut observer au Lac Pavilion. Cependant, il y a 3,5 milliards d’années, les tapis gluants devaient prédominer.

Aussi étranges qu’ils puissent paraître, les microbialites constitueraient probablement la seule forme organique familière à un voyageur temporel qui aurait décidé de faire un tour sur la Terre des origines. La vie n’a pas seulement créé l’atmosphère que nous respirons aujourd’hui : où que vous alliez sur la planète, vous pouvez voir un environnement qui a été façonné par la vie. La chimie des roches, les océans, le sol, tout ceci est le produit d’une activité organique. Les scientifiques ont découvert des organismes (des bactéries et des archées, essentiellement) dans des environnements extrêmement divers, et parfois extrêmes comme les failles volcaniques ou les nuages de haute altitude. Dans chaque environnement, les organismes se sont adaptés et modèlent leur environnement à leur tour.

Sol cryptobiotique. Photo: J. Brew/Flickr
Sol cryptobiotique. Photo: J. Brew/Flickr

Les traces de ce modelage mutuel sont plus connues sous le nom de biosignatures : celles-ci constituent l’intérêt principal du lac Pavilion pour Allyson Brady, géochimiste à l’Université McMaster. Brady est à la recherche d’une méthode pour distinguer les processus abiotiques (qui surviennent sans nul besoin d’être vivants) des biosignatures. « Quand les bactéries sont mortes depuis longtemps, » explique-t-elle, « la roche elle-même conserve parfois une sorte de signature chimique qui nous prouve que la formation est issue d’une activité biologique, par opposition à un processus chimique abiotique. Ce site nous permet d’étudier cette distinction. »

Les biosignatures pourraient nous aider à déterminer si une formation similaire trouvée sur Mars pourrait être, ou non, un fossile de microbialites, c’est-à-dire le signe qu’il a autrefois existé des formes de vie sur la planète rouge. Les quantités relatives de différents isotopes ou la présence de molécules inhabituelles dans la roche pourraient révéler des traces chimiques produites par le métabolisme de microbes disparus il y a très longtemps.

Évidemment, le scénario idéal consisterait à observer des micro-organismes vivants (à supposer qu’ils existent) de manière directe, mais cette perspective est bien plus improbable que ce que la science-fiction aimerait nous laisser croire. Tout échantillon organique collecté par un rover, une sonde ou un astronaute devra d’abord survivre aux manipulations, puis être identifié comme un être vivant sous un microscope. C’est un processus de longue haleine qui nécessite évidemment d’avoir, au préalable, des indices chimiques convaincants motivant une telle analyse. En l’absence de tricordeurs façon Star Trek, les chercheurs devront se mettent en quête de biosignatures dans le sol martien, dans la glace du satellite de Jupiter Europa et dans les panaches d’eau des volcans de glace d’Encelade, l’une des lunes de Saturne.

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Debout sur la rive du lac, j’écoute le doux bourdonnement de libellules bleues, tandis qu’un canard plonge à proximité. Après deux jours d’opérations ROVs, les plongeurs humains sont entrés en scène. Pour les accueillir, l’équipe a emprunté un bateau supplémentaire. Cette fois, je suis à quelques mètres de l’action, ce qui me prive du feed vidéo qui me permettrait d’observer ce que faisaient les plongeurs en temps réel.

Les libellules, les canards, les plongeurs, les bactéries, tous sont des êtres vivants identifiables comme tels au premier coup d’œil. Comme le dit la chanson de Sesame Street, « ils respirent, ils mangent, ils se développent. » Mais est-ce le cas de tous les êtres vivants ?

En terme de recherche de vie extraterrestre, le plus difficile sera probablement… de la reconnaître en tant que telle lorsque nous l’aurons sous le nez. La plus grande partie de la vie sur Terre est microbienne, et bien que nous associons généralement les bactéries aux maladies, la plupart des espèces de bactéries ne présentent aucun danger pour l’humain. Certaines d’entre elles se développent dans des environnements où nous serions incapables de survivre, et vice versa : dans les profondeurs des océans, dans les grottes acides, dans la glace ou dans la lave. Pourtant, il y a bien une parenté entre ces organismes et nous, bien que le cours de l’évolution nous ait séparés.

En raison de cette parenté, toute vie sur Terre est construite à partir de cellules ; elle a besoin d’eau liquide pour persister ; elle est constituée à partir de molécules similaires contenant du carbone, de l’oxygène, de l’azote et quelques autres éléments communs ; enfin, elle utilise l’ADN et l’ARN pour coder des informations et les transmettre aux générations futures. Il faut pourtant se demander : pourrait-il en être autrement ? Si nous refaisions l’histoire de notre système solaire, la chimie de la vie serait-elle la même ? Évoluerait-elle de la même façon ? Pourrait-elle modifier son environnement de la même façon ? »

Les libellules, les canards, les plongeurs, les bactéries, tous sont des êtres vivants identifiables comme tels au premier coup d’œil. Comme le dit la chanson de Sesame Street, « ils respirent, ils mangent, ils se développent. » Mais est-ce le cas de tous les êtres vivants ?
La vie est organique, ce qui signifie simplement qu’elle est à base de molécules contenant du carbone. Or, les molécules organiques sont très communes dans notre galaxie. Les astronomes ont identifié des acides aminés (les « briques » des protéines, en quelque sorte) sur des astéroïdes, et des bases azotées (les « lettres » génétiques de l’ADN et de l’ARN) dans des nuages de gaz à proximité d’étoiles.

L’eau est nécessaire à la vie, et de fait, elle semble plutôt abondante dans l’univers. Il n’en est pas moins que nous n’avons pas encore trouvé la moindre trace de ce que nous définissons comme « la vie » en-dehors de la Terre.

Paradoxalement, la vie inorganique pourrait exister. « Organique » n’est pas synonyme de « vivant, » après tout. La vie à base de silicium qui peuple les univers de science-fiction de Star Trek, de Pratchett ou Philip. K. Dick est le produit de ce genre de réflexion. Le silicium se trouve dans la même colonne du tableau périodique que le carbone, puisqu’ils partagent de nombreuses propriétés. Ils ne s’apparient pas de la même façon aux autres atomes cependant, et ne forment pas les mêmes genres de molécules. Le carbone semble unique en son genre, puisqu’il est le seul à former des structures suffisamment complexes pour la vie.

L’ADN est en effet très, très complexe, ce qui amène les chercheurs à se demander comment et sous quelles contraintes il a pu apparaître en premier lieu. L’hypothèse la plus commune est que l’ARN, qui est constitué d’une seule chaine, par opposition à la double hélice de l’ADN, est apparu en premier. Cependant, l’ARN, lui aussi, est très complexe. « Peut-être que la vie n’a pas commencé avec l’ARN, mais avec une structure encore plus simple, » explique John Chaput de l’Université d’Arizona. « Quel qu’il soit, ce matériau a probablement contribué à former l’ARN. »

Le « D » de l’ADN et le « R » de l’ARN représentent les sucres désoxyribose et ribose, respectivement. Le désoxyribose et le ribose sont en quelque sorte les entretoises de l’échelle, tandis que les lettres génétiques en sont les barreaux. Cependant, celle-ci pourrait être construite avec d’autres sortes de sucres. Les molécules artificielles appelées « XNA » peuvent être construites à partir d’autres sucres : le X de XNA n’est ici qu’une possibilité parmi d’autres.

Chaput est plus particulièrement intéressé par un sucre connu sous le nom « thréose, » parce qu’il permet de former la molécule « TNA » qui « reconnaît » l’ARN et peut former des liens avec elle, tout comme l’ADN avec l’ARN. Le TNA est plus rudimentaire que l’ARN et l’ADN : sa structure est plus simple, et il est également plus facile à construire artificiellement. Chaput se demande si le TNA pourrait avoir servi de prologue à la vie sur Terre : « Parce que la TNA était plus simple à synthétiser, il est peut-être arrivé en premier, avant d’être supplanté par l’ARN. »

Les XNAs constituent potentiellement un chemin alternatif menant à la vie, mais ce n’est pas le seul. Le carbone permet de former beaucoup plus de types de molécules que la vie telle que nous la connaissons n’en emploie. Les protéines n’utilisent pas tous les acides aminés connus ; quant à l’ADN et l’ARN, ils n’exploitent pas toutes les bases azotées possibles. En cela, il pourrait exister d’autres formes de vie reposant sur la chimie du carbone, sur un code génétique, mais utilisant des molécules différentes pour construire leurs cellules.

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Le temps est ensoleillé et agréable, mais Tyler Mackey et Frances Rivera-Hernandez sont chaudement habillés. En effet, ils ont enfilé d’épaisses combinaisons de plongée, et se préparent à plonger dans les eaux glacées du lac afin de s’assurer que l’équipement fonctionne correctement en vue de l’échantillonnage scientifique qui aura lieu plus tard dans la semaine.

Mackey s’intéresse particulièrement à la façon dont les microbes façonnent et sont façonnés par leur environnement, et à la façon dont ces interactions pourraient apparaître dans les archives fossiles de la Terre. Une grande partie de son travail de thèse concerne les lacs enneigés de l’Antarctique. Rivera-Hernandez travaille pour l’équipe du Mars Science Laboratory, qui pilote le rover Curiosity et étudie actuellement la surface de Mars. Elle aimerait déterminer si les lacs terrestres pourraient partager des caractéristiques géologiques avec des lacs martiens, aujourd’hui asséchés, qui auraient pu être des bassins aqueux recouverts de glace il y a très longtemps.

Au lac Pavilion, tout le monde parle de Mars. Les plongeurs ne se contenteront pas de recueillir des données scientifiques sur les microbialites : ils testeront le logiciel et les protocoles expérimentaux qui permettront de réaliser les mêmes opérations à la surface de la planète rouge. Les plongeurs se comportent ici comme des astronautes marchant sur Mars ; le bateau à partir duquel ils plongent représente leur « centre de commandement » (comme celui qui pourrait un jour être installé sur la lune Phobos), et la plateforme de la NASA, sur la rive, sert quant à elle de « centre de contrôle ».

Les effets des vents martiens. Photo: European Space Agency/Flickr
Les effets des vents martiens. Photo: European Space Agency/Flickr

Afin de rendre l’exercice d’autant plus réaliste, le logiciel qu’ils utilisent pour communiquer ménage un délai de cinq minutes entre le bateau et le centre de contrôle, afin de simuler la distance de 55 millions de kilomètres qui sépare Mars de notre planète. À cause de ce délai, les plongeurs ne peuvent pas obtenir des instructions « terrestres » en temps réel, et leurs tâches doivent donc être planifiées à l’avance avec soin. (Par comparaison, les astronautes des missions Apollo devaient composer avec un délai d’une seconde seulement.)

Les astronautes qui poseront peut-être le pied sur Mars dans le futur ont peu de chances de trouver quoi que ce soit qui ressemble à un organisme vivant, mais ils dénicheront peut-être des fossiles de microbialites. Les paléontologues ont découvert des fossiles des microbialites sous forme de « feuillets » appelées stromatolithes en Australie, au Groenland, en Antarctique et au-delà. Certains stromatolithes trouvés à l’ouest de l’Australie ont plus de 3.5 milliards d’années : ils se sont formés peu de temps que la Terre a commencé sa période de solidification. Si des microbes similaires à ceux qu’abrite la Terre étaient apparus sur Mars pendant une telle période, puis avaient péri avec l’assèchement de la planète, on pourrait donc y trouver des fossiles analogues.

À l’heure actuelle, l’eau de surface sur Mars semble être très rare et très salée, mais il n’en a pas toujours été ainsi. « Dans le cas où il y aurait eu beaucoup d’eau sur Mars, une hypothèse probable au vu de nos données observationnelles, elle aurait probablement été sous forme de glace, » explique Rivera-Hernandez. Pour cette raison, les lacs d’eau froide terrestres sont particulièrement intéressants pour quelqu’un qui entend, à terme, étudier de possibles traces de vie sur Mars. Le lac Pavilion gèle chaque hiver, et pourrait même avoir été recouvert d’une couche de glace permanente au cours de la dernière période glaciaire. Certaines structures de microbialites semblent d’ailleurs assez anciennes pour avoir survécu à la glaciation.

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Au cours des 71 années qui ont suivi la parution de l‘ouvrage de Schrödinger, les scientifiques ont énormément accru leurs connaissances sur la vie. Pourtant, il n’existe toujours pas de définition claire et univoque de ce qu’elle est. L’évolution fait certes partie des critères qui participent à définir un organisme comme « vivant, » de même que la capacité à transmettre des informations génétiques d’une génération à l’autre, ainsi que le métabolisme, qui qualifie ici la capacité à modifier l’équilibre chimique de son environnement. Mais même si on peut affirmer sans ambiguïté que certaines entités sont vivantes (comme les tamanoirs) et que d’autres ne le sont pas (comme les fourchettes), il demeure une vaste zone grise entre le vivant et le non-vivant.

Cette zone grise est le royaume des virus et des protéines appelées prions, qui ont très mauvaise réputation : les prions provoquent entre autres l’encéphalopathie spongiforme bovine (ou « maladie de la vache folle »). Les virus possèdent de l’ADN ou de l’ARN, mais ils doivent pénétrer à l’intérieur des cellules afin de se reproduire. Les prions peuvent eux transmettre de l’information et se reproduire sans l’aide de l’ADN en détournant d’autres protéines, notamment au sein des tissus cérébraux. Les virus et les prions sont souvent nuisibles, mais certains types de levures bénéficient de l’activité des prions, tandis que les mammifères, eux, utilisent l’ADN des virus afin d’empêcher une réaction immunitaire qui provoquerait le rejet du fœtus abrité dans l’utérus maternel. Virus et prions ne sont pas vivants au sens strict, puisqu’ils ne se développent pas et ne se multiplient de manière autonome, mais ils peuvent cependant muter et évoluer sous la pression de la sélection naturelle.

« Qu’est-ce que la vie ? » contient en fait plusieurs questions, auxquelles il n’y a pas de réponse unique.
« Il est clair que le virus suit les principes de l’évolution darwinienne, mais pour cela, il a besoin d’une cellule hôte, » explique David Lynn de l’Université Emory. Pour lui, la vie et la non-vie se situent sur un continuum : « Il n’existe pas de frontière nette permettant de distinguer ce qui peut évoluer sur le plan chimique et ce qui peut évoluer sur le plan biologique. » En d’autres mots, les entités qui ont besoin d’un catalyseur externe pour évoluer, comme une cellule hôte, ou du tissu cérébral, ne se distinguent pas facilement des entités capables de se reproduire et d’évoluer par elles-mêmes. Cependant, à un certain point de l’histoire évolutive, les processus chimiques qui caractérisent la « matière inerte » se sont transformés. Ils se sont transformés à tel point qu’ils ont permis de former ce que l’on nomme aujourd’hui la « matière vivante. »

Lynn travaille également sur la façon dont les molécules complexes transportent l’information biochimique ; la compréhension de ce processus pourrait aider à affiner notre vision de l’évolution. Son équipe se demande si les protéines (qui, d’un point de vue chimique, sont constituées de longues chaînes de molécules organiques utilisées pour construire les cellules) pourraient stocker et transmettre les mêmes informations que les molécules génétiques, sans nul besoin d’ADN ou d’ARN. Parce que les protéines et l’ADN sont très complexes, on soupçonne qu’un élément plus simple leur a préexisté dans l’histoire évolutive terrestre.

Le lac Pavilion est l’endroit parfait pour se torturer l’esprit avec ce genre de questions. Les chercheurs en faction sur le site, c’est-à-dire des biochimistes travaillant sur le XNA et les astrobiologistes ayant les yeux tournés vers d’autres mondes, essaient tous de comprendre comment la vie a pu s’adapter en utilisant des matériaux et des processus chimiques simples.

Les bactéries du genre de celles qui vivent au lac Pavilion construisent rarement des structures analogues aux microbialites ; bien que le lac soit légèrement plus alcalin et plus riche en minéraux que les lacs voisins, il n’existe aucune cause évidente de l’émergence de structures sur ce site, et pas un autre. « Pourquoi trouve-t-on des microbialites dans ce lac et dans ce lac seulement ? Qu’a-t-il de si spécial ? » se demande Darlene Lim, l’une des principaux chercheurs. « Il est très difficile de répondre à cette question, et nous aurons besoin d’explorer des pistes très différentes pour ébaucher une réponse. »

Toutes les formes de vie terrestres sont reliées les unes aux autres par un lointain ancêtre commun. Mais la vie telle que nous la connaissons a peut-être coexisté avec d’autres formes de vie non basées sur la chimie du carbone, il y a très longtemps. Si c’était effectivement le cas, cela signifierait que nos lointains ancêtres se sont avérés plus efficaces que les organismes basés sur des structures moléculaires alternatives en terme d’utilisation de leur environnement. Cette perspective a quelque chose de déprimant : ce n’est pas la disparition d’une seule espèce qu’il faut déplorer, mais celle d’un arbre phylogénétique à part entière qui aurait pu dominer la planète si l’histoire évolutive avait pris un chemin différent.

Ces scénarios ne servent pas qu’à la spéculation et à la réflexion théorique. Avec Mars, avec Europa, avec des milliers d’exoplanètes déjà cataloguées, l’éventail des possibilités chimiques en terme de développement de la vie pourrait être énorme. Nous ne pouvons pas nous permettre de présupposer que la vie dans l’univers ressemble nécessairement, de près ou de loin, à celle que nous connaissons sur Terre, à la fois d’un point de vue biologique et d’un point de vue chimique.

« Qu’est-ce que la vie ? » contient en fait plusieurs questions, auxquelles il n’y a pas de réponse unique. Peut-être qu’il n’y a pas besoin d’y répondre, d’ailleurs. Charles Darwin lui-même n’aurait pas été intéressé pas des réflexions aussi philosophiques.

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Une haute cheminée de pierre se dresse sur la montagne surplombant le lac Pavilion. Les membres du peuple Ts’kw’aylaxw, dont les terres s’étendaient autour de cette zone, pensaient d’un immense dragon vivait là, surveillant ses enfants. Les cyanobactéries sont en quelque sorte le fruit de la vie primordiale. Mais elles sont aussi étrangement modernes, adaptées à leur environnement grâce aux forces de l’évolution. Car bien qu’il s’agisse encore d’une définition un peu floue, la vie, c’est cela : l’artisan, la forme, l’évolution perpétuelle.

Matthew Francis

Cet article est d’abord paru sur Mosaic sous le titre « What is life? » et est publié sous licence CC BY 4.0.

Source et Wikistrike, 5 juillet 2016.

En savoir plus sur Vincent Deroy

Depuis août 2012, je fouille sur le web à la recherche des cas paranormaux les plus étranges pour le site www.paranormalqc.com dont je suis le Rédacteur en chef. Handicapé de naissance, j'ai aussi été secrétaire-trésorier du musée de mon village pendant 6 ans et demi.

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