Deux bâtons trouvés dans une grotte en Australie présentent des signes de transformation qui correspondent parfaitement aux pratiques aborigènes de sorcellerie et de malédiction décrites au 19e siècle. On estime que ces bâtons datent d’environ 11 000 à 12 000 ans, ce qui en fait la plus longue période de temps pour laquelle nous disposons de preuves de la continuité d’une pratique culturelle dans le monde entier.
Selon une étude publiée aujourd’hui dans Nature Human Behaviour, cette découverte pourrait représenter le plus ancien rituel connu transmis culturellement, un rituel qui a perduré parmi les populations locales depuis la dernière période glaciaire jusqu’à l’époque coloniale.
Les découvertes ont été faites dans la grotte de Cloggs, dans le sud-est de l’Australie, un riche site archéologique. Située au sommet d’une falaise calcaire avec vue sur les contreforts verdoyants des Alpes australiennes, la caverne descend à environ 12 mètres sous la surface, préservant un vaste héritage de la culture aborigène. Selon des recherches antérieures, l’activité humaine y remonte à 25 000 ans.
Cloggs Cave, dans la région de Gippsland, dans l’État de Victoria, se trouve sur les terres du peuple GunaiKurnai. En 2009, des représentants du peuple GunaiKurnai ont décidé d’étudier leur histoire de manière approfondie et ont commencé à travailler avec des anthropologues de l’université Monash.
Il y a environ 6 000 ans, une grande partie de la grotte s’est transformée en gouffre, ce qui a entraîné la juxtaposition d’objets d’âges très différents. Le professeur Bruno David et ses collaborateurs ont décidé de se concentrer sur une partie de la grotte qui n’avait pas été endommagée par l’effondrement. Un bâton de Casuarina de 40 centimètres de long, légèrement brûlé et entouré de pierres calcaires, a émergé d’un foyer de la taille d’une main. Le bâton a été daté au carbone d’environ 12 000 ans, ce qui en fait le plus ancien artefact en bois trouvé en Australie.
Tout ce qui est en bois dure rarement aussi longtemps, et le bâton présentait des qualités encore plus remarquables. Rien à voir avec ce que l’on voit pour un objet qui a fait partie d’un feu pour se réchauffer ou se nourrir, la brûlure à une extrémité suggère qu’il a été brièvement placé dans un feu froid. Le bâton contenait des lipides provenant de la graisse humaine ou animale, et les brindilles qui s’en détachaient avaient été soigneusement enlevées.
Des fouilles plus approfondies ont permis de découvrir un bâton de Casuarina similaire, plus jeune d’environ mille ans, mais traité de la même manière. D’autres recherches ont permis d’obtenir une image plus complète : Les deux bâtons reposaient sur des foyers miniatures, qui n’étaient guère plus que des enclos de pierre de la taille d’une paume de main, remplis de cendres d’herbes et de brindilles qui semblaient avoir brûlé pendant une très courte période. Les bâtons, le plus vieux d’environ 40 centimètres de long et le plus jeune d’environ la moitié de cette longueur, provenaient de deux espèces de Casuarina, des pins à fleurs originaires d’Australie dont l’utilisation cérémonielle est très ancienne.
Les survivants du peuple GunaiKurnai avaient perdu la mémoire culturelle de l’utilisation de ces bâtons. Les chercheurs ont donc analysé d’anciens textes ethnographiques, qui ont permis de remettre les choses dans leur contexte au fur et à mesure que les preuves s’accumulaient. En 1887, le géologue du gouvernement Alfred Howitt a décrit les rituels des sorciers que la population locale appelait mulla-mullung. D’autres textes ethnographiques associent également les bâtons de Casuarina à la sorcellerie.
Howitt a rédigé des comptes rendus détaillés de pratiques mystiques visant à guérir les malades ou à maudire les ennemis, en s’appuyant à la fois sur des observations personnelles et sur des récits d’Aborigènes. L’un de ces rapports présente une étonnante ressemblance avec les éléments trouvés dans la grotte. Le sorcier se procurait un vêtement, un postiche ou un morceau de nourriture qu’il attachait à l’extrémité d’un bâton trempé dans de la graisse humaine ou de kangourou afin de nuire à un ennemi. Le bâton était ensuite placé près d’un petit feu et le mulla-mullung chantait le nom de la victime visée jusqu’à ce que le bâton tombe dans les flammes, réalisant ainsi un sort funeste.
Selon Bruno David, l’un des principaux auteurs du nouvel article et archéologue à Monash, la convergence des preuves archéologiques et des récits ethnographiques montre à quel point les traditions aborigènes ont survécu.
« Cela représente 12 000 ans de continuité, de transmission des connaissances d’une génération à l’autre, d’une pratique culturelle qui est restée presque intacte sur 500 générations », explique-t-il. « C’est absolument remarquable. »
Plutôt qu’un espace de vie, la grotte semble avoir surtout servi de lieu de rituel isolé. Dans une série de découvertes datant d’environ 23 000 ans, les archéologues ont trouvé des arrangements cérémoniels de pierres, des stalactites brisées, une petite meule, des plaques de poudre de calcite et des cristaux de quartz.
Cette découverte est publiée en libre accès dans la revue Nature Human Behaviour.
Sources: Le nouvel ordre mondial, Le Savoir Perdu des Anciens