Les vampires ne sont pas tous comme ceux dans les films. Ils sont pour la plupart humains, mais avec des penchants extrêmes. Certains font du cannibalisme, d’autres sont nécrophiles et bien d’autres. Et voici le cas du Sergent Bertrand.
Cinquième Partie.
ACTE D’ACCUSATION (Suite)
On pensa alors à établir un piège qui pût permettre de frapper le coupable ou de laisser des traces qui permissent de le reconnaître.
On avait remarqué que les escalades d’un mur, haut de près de neuf pieds, avaient lieu presque au même point.
Un ancien militaire imagina une machine infernale ainsi composée: un canon de fusil, chargé de mitraille jusqu’à la gueule, fut placé sur une tombe et recouvert de zinc et de couronnes; l’embouchure du canon était dirigée vers le mur, et un fil de fer, attaché à la détente, devait, à la première tentative d’escalade, faire partir la batterie.
Cette machine placée, on mit chaque soir en surveillance.
Au mois de novembre dernier, des profanations identiques se renouvelèrent au cimetière dit des Hospices, près celui du Montparnasse.
Vers minuit, le 5 novembre, le gardien-fossoyeur entendit aboyer ses chiens plus fort et plus longtemps que de coutume, mais il ne se dérangea pas.
Le lendemain, vers six heures et demie, faisant sa tournée, il vit la tombe d’une femme, inhumée la veille, très dérangée; il s’approcha et reconnut que le cadavre avait été enlevé.
Les pas que l’on remarquait autour de la tombe étaient ceux d’un homme portant des talons très bas et, à soixante mètres de là, le gardien aperçut un linceul ensanglanté tombant d’une croix.
Il se rendit en cet endroit et il y trouva le cadavre d’une jeune femme; c’était celui de la personne enterrée la veille.
Il était à moitié découvert et portait à la cuisse gauche une profonde incision, d’une forme irrégulière, faite avec un instrument peu tranchant.
Ces faits, de nouveau constatés par les agents de l’autorité, donnèrent lieu à une instruction judiciaire qui fut suivie par M. Desmortiers.
De nombreux témoins étaient appelés devant ce magistrat, et la police agissait activement, sans pouvoir cependant saisir l’auteur ou les auteurs de ces profanations, que l’on ne pouvait même pas expliquer par l’odieux et cupide appât de voler les bijoux qui souvent sont ensevelis avec la personne qui les portait.
Des mutilations, des blessures, des enlèvements et des déplacements de cadavres, voilà tout ce que l’on pouvait constater.
La justice en était 1à, lorsque de nouvelles circonstances la mirent sur les traces du véritable coupable, qui, étant militaire, comparaît devant ses juges naturels du Conseil de guerre.
Le dernier fait s’est passé dans la nuit du 15 au 16 mars, au cimetière du Montparnasse.
Il était environ onze heures du soir. C’était l’heure ordinairement choisie par ce mystérieux malfaiteur.
Bertrand se présenta pour escalader le mur; mais cette fois, il mit le pied sur le fil de fer, et la machine fit une explosion horrible.
Bertrand reçut vingt-huit projectiles, dont vingt-trois atteignirent les vêtements et cinq pénétrèrent dans son corps, trois à la hanche droite et deux aux jambes
Malgré la gravité de ses blessures, Bertrand put prendre assez lestement la fuite pour n’être pas aperçu par les gardiens.
Il parvint jusqu’à l’hôpital militaire, où il se fit recevoir, et c’est à partir de ce moment que les apparitions nocturnes ont cessé dans les cimetières de Paris.
Les révélations faites par Bertrand n’ont pas laissé subsister le plus petit doute sur tous les faits signalés à la justice.
Fin de l’acte d’accusation.
La lecture de cette pièce, interrompue à diverses reprises par des exclamations d’horreur parties de l’auditoire (Oh! Fi! Pouah! Beuh! Eh Bé! Holà! Aïe! Diable! Au secours!), est suivie de l’interrogatoire suivant:
Le Président (à l’accusé). – Vous connaissez les nombreux faits de violation de sépulture qui vous sont imputés?
Bertrand. – oui mon colonel, M’ le rapporteur me les a communiqués dans le cours de 1’instruction.
Le Président. – À la suite de quelles sensations vous livriez-vous à ces sortes d’excès?
Bertrand. – Je ne sais pas, je ne puis dire ce qui se passait en moi.
Le Président. – Vous avouez tous les faits?
Bertrand. – Je reconnais m’être rendu coupable de toutes les profanations de sépulture dont on m’accuse. J’ai été blessé dans la nuit du 15 au 16 mars dernier par un coup de feu, en sautant par-dessus la cloison en planches du cimetière Montparnasse, où je voulais m’introduire pour fouiller de nouvelles sépultures. Ce coup de feu m’obligea de m’enfuir; je me rendis à 1’hôpital du Val-de-Grâce pour me faire soigner des blessures que j’avais reçues. Je déclarai tout ce que j’avais fait à M. le chirurgien-major Marchal (de Calvi).
Le Président. – Ainsi, vous vous reconnaissez bien être l’auteur des violations qui ont eu lieu en février 1847, à Bléré près de Tours; en juin même année au cimetière de l’Est; en juillet et août 1848 au cimetière du Sud; le 25 août, au cimetière d’Ivry; en septembre une deuxième fois au même cimetière, et en décembre, au même lieu, sur plusieurs cadavres?
Bertrand. – Toutes ces dates sont exactes, ou à peu près. Quand je m’introduisais dans un cimetière, c’était une rage, une folie qui me poussait. Il m’est arrivé de déterrer dans la même nuit de dix à quinze cadavres, et, après les avoir mutilés, je les
remettais en place. (Mouvement dans l’auditoire).
Le Président (dépassé). – Mais quels étaient votre motif, votre but, pour violer ainsi des sépultures et vous porter à des actes horribles?
Bertrand. – Je n’avais aucun but. J’éprouvais le besoin irrésistible de la destruction, et rien ne m’arrêtait pour me lancer dans un cimetière afin d’y assouvir cette espèce de rage de mutiler les cadavres. Mais sans m’occuper ni sans chercher le sexe. Je ne puis encore aujourd’hui me rendre compte des sensations que j’éprouvais en éparpillant les lambeaux de ces cadavres.
Le Président. – Avec quel instrument commettiez-vous les incisions et lacérations des membres?
Bertrand. – Le plus souvent avec mon sabre-poignard et d’autres fois avec un couteau ou un canif.
Le Président. – Comment parvenez-vous à déterrer les corps?
Bertrand. – Avec mes propres mains, ou avec le premier instrument que je trouvais près de moi. J’avais quelquefois les mains en sang, je ne sentais les douleurs que le lendemain.
Le Président. – Que se passait-il en vous après avoir assouvi votre passion?
Bertrand. – Je me retirais en proie à une fièvre qui me rendait tout tremblant; puis j’éprouvais le besoin de prendre du repos. Je ne dormais plusieurs heures consécutives, n’importe où ni en quel lieu. Pendant cet assoupissement, j’entendais tout ce qui se passait autour de moi.
Le Président. – Comment expliquez-vous cette préférence à choisir pour vos horribles mutilations des cadavres de femmes plutôt que ceux des hommes?
Bertrand. – Je ne choisissais pas; il est vrai que j’ai déterré plus de femmes que d’hommes.
Le Président. – N’étiez-vous pas, dans ces actes dirigés par un sentiment autre que celui de la destruction des cadavres?
Bertrand. – Non, non, mon Colonel.
Le Président. – Il est bien extraordinaire que vous cherchiez toujours à assouvir votre passion sur des morts, et jamais sur des êtres vivants.
Bertrand.- C’est une maladie chez moi. Depuis que je suis à l’hôpital, je n’en ai pas eu d’atteinte; mais je ne sais si je serai complètement guéri quand je sortirai de cette affaire.
Source: Diable, démons et Vampires. Édition: Poche Sélect. 1977