L’archéologue Juan Carlos López Quintana avait prévu de passer tranquillement son premier Mai dans la ville balnéaire de Lekeitio au nord de l’Espagne. Lorsqu’il s’est abaissé à travers une étroite ouverture à 8 mètres de profondeur semblant mener à une grotte inexplorée, il ne s’attendait pas à ce qu’il vit.
Il pensait que la grotte, dont un groupe de spéléologues venaient de s’y frayer un chemin, pouvait contenir des sédiment (des traces d’activités humaines comme des ossements et outils), mais ses attentes ont été largement dépassées: à 50m à peine de l’entrée se trouvait un impressionnant tableau d’art paléolithique, parfaitement préservé. cette trouvaille survient à peine quelques mois après les superbes peintures rupestres découvertes non loin dans les grottes d’Atxurra au Pays-Basque.
« Les dessins étaient clairement visibles (à l’œil nu), ils étaient spectaculaires » rapporte López Quintana. La conservation de cet art rupestre, composé de plus de cinquante gravures paléolithiques, est « exceptionnelle » confirme Marcos García Díez, professeur de préhistoire à l’Université du Pays-Basque.
La grotte, située sous un ensemble de bâtiments, était connue de la population locale depuis longtemps. Son entrée est restée ouverte pendant des décennies et les enfants allaient y jours jusque dans les années 1970, avant que les déchets de construction n’en bloquent l’accès.
« Les grottes sous les zones urbaines sont en général mal préservées, ou s’effondrent entièrement » ajoute Garcia Diez, ce qui explique la surprise de López Quintana lorsqu’il a découvert les dessins, probablement vieux de 14500 ans, intacts. « La partie de cette grotte n’est pas difficile à explorer depuis l’entrée originale » continue-t-il, mais, fort heureusement, elle est intacte. « Toute cela aurait pu finir recouvert de graffitis ».
Cet art rupestre apporte une image remarquable de la vie au 125 siècle avant l’Ere Commune.
Des symboles abstraits trouvés dans la grotte ( les premiers que l’on connait pour avoir été réalisés en utilisant une technique de gravure particulière) indiquent que les personnes qui les ont faits partageaient une sensibilité artistique et voyageaient dans ce qui est aujourd’hui la France et l’Espagne. Cette grotte seule représente des déplacements qui vont jusqu’à 800km, estime Garcia Diez. Bisons, chèvres et chevaux parcouraient la péninsule ibérique, ainsi qu’une sous-espèce éteinte de lion.
Cette immense panneau artistique combine de nombreuses images d’herbivores, certaines font jusqu’à 1.5m, ainsi que deux « très rares » images de félins exceptionnellement préservées. Les carnivores, et plus spécialement les lions, n’ont presque jamais été rencontrés dans l’art rupestre paléolithique, rapporte le professeur de préhistoire, César Gonzalez Sainz, de l’Université de Cantabrie, qui est celui qui a daté ces gravures, et qui reste étroitement impliqué dans l’exploration de la grotte.
Cet art rupestre est un témoignage rarissime des compétences artistiques de nos ancêtres, une partie d’une histoire vieille de 14500 ans dont tout n’est pas encore découvert.
Garcia Diez fait remarquer que les deux représentations de félin, avec une troisième figure encore indéterminée, sont une « singularité ». « Certains disent que cela pourrait être une hyène, d’autres un lion, mais dans tous les cas c’est un carnivore » ajoute López Quintana.
Les animaux prédateurs, et plus particulièrement les lions, sont inhabituels dans l’art paléolithique. « Ces gens ont plutôt tendance à peindre ce qu’ils consomment, et les lions sont plutôt liés au danger » explique Garcia Diez. L’une des figures de lion est, sans aucun doute, la mieux préservée en Cantabrie, « on peut le voir clairement, ses petites oreilles, ses deux puissants membres antérieurs,sa queue relevée ».
Les lions lèvent la queue lorsqu’ils courent, pour la stabilité, explique Marián Cueto Rapado, archéologue qui s’est récemment penché sur les lions préhistoriques. « Les hommes préhistoriques ne connaissaient pas seulement la forme de l’animal, mais aussi ce que signifiait leur posture; ils pouvaient dire si un animal était calme ou tendu, et ils étaient capable de capturer cela de manière magnifique dans leur art ». Elle ajoute que ces dessins de félins concernent plus probablement des lions des cavernes, une sous-espèce qui vivait en Eurasie au cours de la fin du Pléistocène. Ces lions étaient plus grands en taille que les lions africains avec lesquels nous sommes familiers, et les mâles n’avaient pas de crinière.
Mais la connaissance anatomique des lions par les hommes préhistoriques ne provenait pas seulement de l’observation: ils les chassaient aussi pour leur peau et, d’après Cuerto Rapado, ont contribué à leur extinction. « Les hommes préhistoriques étaient d’habiles chasseurs; de plus, la population humaine augmentait à cette période, et les lions rivalisaient avec les hommes au sujet de la nourriture et de l’espace de vie (les deux vivaient dans des grottes). Aussi, l’activité humaine a exercé une pression sur les lions des cavernes jusqu’à ce que finalement ils disparaissent, il y a environ 14000 ans » ajoute-telle.
Une technique de gravure inhabituelle a été utilisée
Cet art est d’autant plus significatif, ajoute Garcia Diez, que c’est un « exemplaire » d’une technique de gravure inhabituelle, facilement dommageable, et qui survit rarement de manière « si visible ». Alors que la plupart des dessins de la grotte sont faits par grattement avec les ongles sur le mur, cette technique consiste à faire glisser un objet sur le mur pour créer des lignes plutôt que des rainures, ce qui donne un « camée » sophistiqué ou un effet trompe l’œil, qui semble peint plutôt que gravé, décrit González Sainz.
On ne sait pas encore quel était le but de l’art préhistorique, mais cette découverte apporte de la lumière sur l’intensité surprenante des échanges culturels entre des populations éloignées. Selon, Garcia Diez, les gravures dans la grotte de Lekeitio sont de l’art rupestre naturaliste, que l’on trouve en de nombreux endroits à cette période, de la Cantabrie jusqu’au centre de ce qui est aujourd’hui la France.
Les symboles abstraits gravés sur les murs consistent en des lignes de 30 à 40cm, d’adjacentes à des demi-cercles. Cela relie aussi ces différentes populations. Les gravures de ces symboles n’ont jamais été trouvées en Cantabrie auparavant, mais on en a vue dans les Pyrénées. « Les murs de cette grotte représentent des déplacements de 700 à 800 km » explique Garcia Diez, ce qui est une distance impressionnante lorsque l’on sait que ces hommes ne voyageaient qu’à pieds.
Pour Cueto Rapado, « ces populations étaient nomades: elles chassaient des groupes d’animaux et se déplaçaient chaque fois qu’une nourriture devenait rare dans une zone. »
Gonzalez Sainz explique que l’art rupestre découvert combine différentes images, qui sont souvent enchevêtrées ou partiellement superposées, aussi une étude détaillée est nécessaire pour démêler toutes les informations.
La grotte elle-même recèle encore de nombreux secrets attendant d’être découverts: la plus grande partie du niveau supérieure, où a été découvert l’art rupestre, reste inexploré, et López Quintana est certain que d’autres découvertes vont suivre. Mais cela va être un long processus. L’accès à la grotte est difficile, c’est très humide, dans un environnement malsain, et une rivière circule aux niveaux inférieurs.
Jusqu’ici, seulement neuf personnes (officiellement) ont été à l’intérieur (sans compter les spéléologues qui ont explorer les autres niveaux), dont une équipe d’imagerie 3D.
Aussi, alors qu’il est certain que la grotte ne sera pas accessible au public, une exposition qui a ouvert récemment dans les environs de la ville de Bilbao permet de visiter virtuellement la grotte et d’explorer chaque détail de l’art rupestre avec l’aide de lunettes spéciales.
Pour l’archéologue López Quintana, il s’agit de rester patient: les travaux archéologiques ne reprendront pas avant l’année prochaine.
Source: Wikistrike, 23 novembre 2016.