Un jour de 1966, dans un hôpital de New York, le Neurologue anglais Olivier Sacks découvre par hasard les survivants de l’une des plus étranges épidémies des temps modernes. « Les salles sont occupées par de bizarres figures figées, raconte-t-il, par des statues humaines inertes comme de la pierre. C’est une terrible vision. »
Ces patients sont victimes d’Encephalitis lethargica, en d’autres termes la maladie du sommeil. Celle-ci apparaît soudainement en 1915 et se propage dans le monde. Mais elle adopte au départ tant de formes qu’elle désoriente complètement les médecins. Pour les uns, il s’agit d’une douzaine d’affections différentes, pour les autres, d’une maladie inconnue avec des symptômes cérébraux.
Elle atteint 5 millions de personnes, mais il n’y a pas deux cas semblables. Un tiers des malades meurent rapidement, d’autres tombent dans un coma dont ils ne se réveillent pas. Certains souffrent de trop longues périodes d’insomnie qui leur sont fatales. Les survivants, eux, gardent souvent de graves troubles de la personnalité.
Selon Sacks, les enfants deviennent « impulsifs, provocateurs, effrontés et vulgaires ». Ils peuvent aussi » ne plus ressentir, ne plus communiquer de sentiments. Ils sont aussi transparents que des fantômes et aussi amorphes que des zombies « .
L’épidémie se termine en 1927. Elle disparaît aussi soudainement et mystérieusement qu’elle est apparue. 40 ans plus tard, dans un hôpital de New York, Sacks retrouve quelque 80 survivants.
Le grand réveil
Peu après son arrivée, le médecin apprend qu’un médicament, le » L-dopa « , est en train de révolutionner le traitement de la maladie de Parkinson. Pourrait-il aussi traiter ses propres
patients ? En mars 1969, il commence à utiliser le nouveau produit.
L’effet est surprenant. « Les statues vivantes reviennent à la vie ». Immobiles et figés depuis 50 ans dans la plupart des cas, ces gens sont à nouveau capables de marcher et de parler, de
sentir et de penser en toute liberté. Les salles si tranquilles autrefois bourdonnent d’activité, s’agitent. Quelques malades décrivent les limbes dans lesquelles ils ont vécu. « Je ne me faisais plus aucun souci. Plus rien ne m’affectait. J’oubliais ce qui pouvait me rendre malheureux. Ce qui était bien, ce qui était mal, je n’en savais plus rien. »
De nombreux malades continuent à se comporter comme dans les années 1920. Un homme qui pratiquait la course automobile continue donc à conduire des voitures de cette époque. Une
femme, atteinte en 1926, évoque ce temps comme si elle y vivait toujours.
Mais ce grand réveil ne dure pas. Si certains patients supportent parfaitement le « L-dopa », d’autres connaissent des souffrances intolérables. Sacks raconte : « Leur joie devient folie, frénésie, délire. C’est comme si nos patients ne pouvaient être plus longtemps maîtrisés, comme si un élément modérateur essentiel manquait… Il se produit alors une sorte d’explosion. Il ne s’agit pas seulement de gestes désordonnés, mais de tics, de mouvements et d’idées bizarres, de plus en plus complexes, capricieux, violents. On découvre le comportement entier, l’allure générale de l’espèce la plus primitive et la plus préhumaine qui soit. »
Aujourd’hui, la plupart des victimes de cette étrange épidémie sont mortes. Ils ont cependant permis aux médecins d’avancer leurs travaux sur les mécanismes du cerveau et l’effet possible des drogues comme le « L-dopa ».
Les patients d’Olivier Sacks lui ont un jour demandé de raconter leur histoire. L’un d’eux a écrit : « Je suis une chandelle vivante. Je me consume tandis que vous apprenez. Vous découvrirez des choses grâce à ma souffrance. »
Source: Faits étranges et récits extraordinaires aux Éditions: Sélection du Reader’s Digest, 1989.